Le 15 mai 2016, l’ONG We move Europe – regroupant 30000 citoyens qui souhaitent amener des prises de conscience sur des problématiques de l’Union européenne – postait une vidéo explicative dessinée sur le glyphosate. Il s’agit d’un herbicide cancérigène utilisé par Monsanto. Nous ne reviendrons pas ici sur le contenu de la vidéo, assez explicite.
Ce qui nous intéresse ici, c’est la forme et le fait que ce post a généré plus de 6 millions de vues et des dizaines de milliers de partages. Autrement dit, c’est la publication la plus populaire de l’ONG, et de loin ! C’est ce qu’on appelle une vidéo virale. Sur la page Facebook de We move Europe, il y a d’autres posts parlant du glyphosate avec des photos qui ont recueilli 150 ou 180 vues. Ce n’est donc pas le sujet, mais bien la forme – la vidéo explicative dessinée – qui est à l’origine de la viralité. Comment comprendre l’engouement des internautes pour cette publication ? Quand la vidéo explicative dessinée devient un véritable phénomène !
Le dessin favorise la distance critique :
Ce qui frappe immédiatement, c’est le choix formel. Il ne s’agit pas d’un film avec une voix-off, ni d’un powerpoint, ni même une vidéo en motion design. We move Europe a choisi la vidéo explicative dessinée. Parce que le dessin favorise la distance critique, le questionnement.
Le film dénonce « un tissu de mensonge ». Or nous vivons dans une époque où l’on peut facilement manipuler les images. Il existe de nombreuses façons de le faire avec le montage, l’angle de prise de vue, en coupant la séquence au moment souhaité, à travers une voix – off qui commente. L’image filmée donne l’illusion d’offrir la réalité toute nue, et peut ainsi être manipulée. L’exemple le plus flagrant est le journal télévisé sélectionnant des images du monde (presque uniquement des images de catastrophes, de violences, de crimes et de guerre) et prétendant qu’il s’agit là de l’actualité. Que le monde se résume à cela.
Le dessin ne se substitue pas à la réalité. Il garde son caractère de représentation. Le spectateur est conscient de voir une reproduction.
La pédagogie par le dessin :
Le dessin ne se substituant pas à la réalité, il permet au spectateur de garder de la distance par rapport au message qu’il reçoit. La vidéo explicative dessinée fait appel à l’intellect. Pas d’image choc, pas de sensationnalisme, We move Europe mise sur l’intelligence. La vidéo présente une explication argumentée où le dessin sert essentiellement à illustrer le propos, à le soutenir. Un message est mieux mémorisé lorsqu’on fait appel au visuel et à l’audio en même temps.
La vidéo explicative offre une meilleure mémorisation mais suscite aussi une meilleure compréhension. Le dessin offre une latitude que l’image filmée ne permet pas : faire un schéma, dessiner un icône, représenter un graphique, etc. La seule limite au dessin repose sur le talent du dessinateur.
Le dessin offre aussi un caractère dynamique et fun. Le glyphosate est un sujet sérieux. On parle d’un produit cancérigène, du cynisme de Monsanto et de la complaisance des autorités responsables. La vidéo explicative dessinée évite de donner à l’exposé un côté trop rebutant, en maintenant l’intérêt du spectateur afin qu’il regarde la vidéo jusqu’au bout. Le dessin dédramatise en quelque sorte le sujet. Après tout, le but de cette vidéo est de fédérer les gens derrière l’ONG pour faire changer les choses. C’est un message d’espoir.
L’intelligence contre le portefeuille :
Réaliser un film demande un certain budget. Pour un rendu professionnel, il faut une bonne caméra, une bonne prise de son, un réalisateur, etc. Or l’ONG We move Europe n’a pas les mêmes moyens que la compagnie qu’elle dénonce, Monsanto. Un intérêt majeur de la vidéo explicative dessinée est qu’elle est moins coûteuse et plus facile à réaliser.
On peut montrer avec un dessin plus de choses qu’avec un film. Noter l’usage qui est fait à plusieurs reprises des vignettes que la main retourne dans cette vidéo. On voit alors qu’un dessin en cache un autre, et ce double dessin (ce double sens !) exprime lui-même la duplicité dénoncée ici.
La vidéo explicative dessinée parce qu’elle fait appel à la rationalité, par sa pédagogie même, est la forme toute désignée pour une nouvelle génération d’internautes. Plus éduqués et conscients de la possibilité de manipuler les images, lassés aussi par la propagande publicitaire de certaines compagnies, la génération 2.0 cherche de nouveaux moyens pour communiquer et se faire entendre. Qui aurait pu prédire un tel retour du dessin animée ?!