« Le marketing ne consiste plus à fabriquer des choses, mais à raconter des histoires. » Seth Godin
D’habitude, je déteste les pubs.
- C’est souvent cliché
- c’est parfois surjoué
- c’est surtout intempestif et inopportun
Sauf que là, je n’avais pas l’impression de regarder un spot commercial.
Un pied qui dépasse de la couette. Une alarme déplaisante qui retentit. Une main qui attrape l’oreiller pour enfouir sa tête dessous. C’est un de ces réveils douloureux dans la lumière grise de l’aube.
En deux plans et 3 secondes, je me suis déjà complètement identifié au héros (qui s’avère être une héroïne). On filme du vécu. L’image est belle. Cette fois, je suis d’accord pour faire un tour de manège.
Vous vous rappelez la pub Intermarché – #lamourlamour ? Finalement, on peut faire de belles choses en marketing. Même en France.
Mais au fond, qu’est-ce qui plaît ? Pourquoi, à la fin de ce film on a plus envie de faire du sport qu’après une de ces réclames crispantes qui passent à la radio ?
Non pas un spot, mais un vrai court métrage
On a envie de regarder la publicité de bout en bout pour une simple et bonne raison : ça raconte une histoire ! Il était une fois une fille morose, engluée dans une vie monotone, qui rencontre un matin, en se rendant à son travail, un coureur… Aussitôt, j’ai envie de savoir : « et après, qu’est-ce qui se passe ? »
Pas de dialogue (à peine un faible « bonjour » au début), pas de voix off, pas de sous titre et une bande sonore minimaliste : on laisse les images parler. Puis, à la 38e seconde, les premières notes de piano de la chanson Glorious nous propulsent dans une nouvelle phase du récit.
On a donc une intrigue assez classique de type « boys meet girls » traité de manière originale, puisqu’on adopte ici le point de vue de la femme. Mais le véritable angle nouveau, c’est la métaphore sportive.
Or, renversement final, la véritable rencontre n’est pas avec ce coureur particulier. L’homme en question n’est qu’un avatar, un symbole. Le vrai coup de foudre est avec la course à pied. La métaphore n’en est pas une.
Le sport, la plus belle des rencontres.
Vous pouvez prendre L’anatomie du scénario de John Truby, un des papes du storytelling, et vous retrouverez dans cette publicité « les sept étapes clés de la structure narrative. »
On ouvre sur la faiblesse de l’héroïne : une jeune femme timide qui s’ennuie dans sa vie
- Elle a un besoin psychologique : surmonter la routine qui la rend triste
- Elle a également un besoin moral : retrouver un sens à sa vie
- Vous trouverez également le problème qui naît de la rencontre avec le coureur et souligne son insatisfaction
- L’héroïne a un adversaire : sa condition physique, très mauvaise au début du récit
- Et aussi une révélation finale (qui est tout bonnement le slogan)
- Ainsi que ce que Truby appelle « le nouvel équilibre » : d’une introversion initiale, l’héroïne parvient à une extraversion et une vie épanouie
Vous pouvez prendre la structure en 3 actes du livre Story, de Robert McKee (un autre souverain pontife du scénario), et ça marche aussi. C’est scénarisé au laser.
Le jeu d’acteur est très bon. Ce n’est jamais surjoué. Il y a plusieurs touches d’humour : comme en plein meeting, les ciseaux effectués sous la table, ou encore le voisin qui prend les grognements dus aux abdominaux pour le son d’ébats amoureux.
Le montage calé sur la chanson de Macklemore est tout simplement parfait.
Au lieu d’essayer de te vendre un truc, on te parle de valeurs
Et ça fait vraiment du bien. Dans la pub « Nike, la naissance d’un champion », à aucun moment, vous ne voyez un produit de la marque. Et la seule paire de chaussures qui apparaît au début, ce ne sont pas des Nike.
Sur les 2 minutes 24 que dure la pub Intersport, seules 12 secondes se passent dans une boutique de la marque. C’est ridiculement peu !
On ne voit même pas en détail les baskets ou les vêtements. Ce que l’on voit, c’est un vendeur souriant qui conseille l’héroïne pour qu’elle arrête de détruire ses pieds quand elle court. On voit la valeur ajoutée réelle d’un achat en boutique : l’expertise et le conseil.
Le message qui passe à ce moment, c’est qu’Intersport est votre allié dans les défis que vous vous fixez. Et ça, c’est du très bon marketing.
Mettre l’utilisateur au centre et le produit à la périphérie
Finalement, on parle des problèmes que nous rencontrons dans la pratique du sport et de la manière dont Intersport y apporte une réponse.
- Qu’est-ce qui se passe quand on veut se remettre au sport ?
- Comment surmonter la douleur et les échecs ?
- Comment progresser en douceur et retrouver du plaisir à se dépenser ?
Vous pensez que si vous dites aux gens « vous allez souffrir”, ils vont s’enfuir ? C’est tout le contraire. Car ce dont on parle finalement, à travers l’arc dramatique du protagoniste, c’est de sortir de sa zone de confort, de relever des défis, de s’accrocher.
Ce qu’Intersport a fait avec cette pub, c’est de prendre des moments vécus, des expériences de la vraie vie et de condenser le tout à travers un scénario bien ficelé. La pub parle plus des sportifs, ou de ceux qui aspirent à l’être, plutôt que des vêtements de sport.
Et ce qui est vraiment malin, c’est de mettre l’accent sur la valeur bienfaisante de l’exercice (à notre époque où l’on veut manger et vivre plus sainement). Il ressort de tout cela une dimension d’authenticité, un parler-vrai qui est à l’opposé du baratin publicitaire habituel.
Pensez-y, on aurait aussi pu vous montrer un footballeur français champion du monde qui vous dit :« moi, j’achète mes crampons chez Intersport. »
À garder en mémoire
Jennifer Aaker, professeur de Stanford, explique qu’une histoire est 22 fois mieux mémorisée que de simples faits. Et dans son infographie sur l’art et la science du storytelling, Maggie Patterson rapporte des études qui montrent que les histoires produisent dans le cerveau humain de :
- la dopamine (neurotransmetteur associé à la sensation de plaisir)
- l’oxytocine (intervenant dans les circuits de la récompense)
- la sérotonine (lié à la sensation de bien-être)
Finalement, ce film parle plus de ces personnes qui veulent se remettre au sport. Intersport fait de son public cible le héros de sa communication.
Et c’est en cela que le storytelling fait vendre. Il permet de sortir d’un monologue égocentrique « mon produit, mon produit, mon produit » (soit les spots de pub classique) pour placer l’humain au coeur de son marketing (quel problème résout la marque) et ouvrir un dialogue avec son audience. Car ce spot interroge directement ce que le sport représente pour chacun. Et il nous invite à notre tour à sortir de notre zone de confort.
Et si on faisait tous de la publicité comme ça ?